Les Suissitudes de JCS #5 : Les pilotes vivent, malgré la mort



Six ans après Shoya Tomizawa, l’équipier de Dominique Aegerter; moins de cinq ans après Marco Simoncelli, l’adversaire de Tom Lüthi dès les courses de pocket-bike, Luis Salóm, le compagnon de Jesko Raffin, est mort sur la piste.

Suzuka, 20 avril 2003. La nuit est déjà tombée sur le parc d’attractions imaginé par Soïchiro Honda pour les enfants de ses employés. Olivier Jacque, champion du monde 250 cc trois ans plus tôt, est venu chercher renfort en salle de presse. Il a besoin de parler. Il aimerait se libérer de la boule qui est bloquée dans son estomac. Il cherche, aussi, des réponses à la question qu’il n’a pu que se poser quelques heures plus tôt, lorsqu’il a été le premier à passer à quelques mètres d’un corps désarticulé, celui de Daijiro Kato: pourquoi continuer? «On connaît les risques inhérents à notre discipline sportive, à notre passion, mais c’est la première fois que notre génération de pilotes est confrontée au pire, à la mort. On sait tous qu’on peut se blesser, on s’est déjà tous blessés une fois ou l’autre, mais on avait, bien inconsciemment, occulté le fait qu’on pouvait mourir. Et là, il y a le rappel brutal de cette réalité.» O.J., comme tous les autres, a pourtant repris le guidon…

Circuit Catalunya, 5 juin 2016. Deux jours plus tôt, Luis Salóm a perdu la vie, durant la seconde séance d’essais libres du vendredi. «Je m’excuse, la pression est tombée et là, je ne peux plus. Je n’ai rien à dire»: Thomas Lüthi est marqué comme jamais. «Je suis juste content d’avoir terminé cette course. La place? Les points perdus par rapport à la tête du championnat? Cela n’a pas la moindre importance. Pas aujourd’hui. J’étais en tête au début, j’aurais bien voulu le rester. Pour Luis», ajoute Tom, avant de s’effondrer. La veille encore, il se voulait auto-persuasif: «Quand je rentre dans mon stand, que j’enfile mon casque, quand je monte sur ma moto, j’arrive à faire abstraction de la douleur, à rester concentré, à faire mon job, parce que je suis un professionnel. Mais à la fin des essais qualificatifs, quand je me suis retrouvé dans le parc fermé, parce que je m’étais qualifié en première ligne, tout cela est devenu totalement irréel.»

Dominique Aegerter a un tout autre caractère que son équipier. Confronté directement au drame lorsque Shoya Tomizawa avait trouvé la mort à Misano, «Domi» a réussi cette fois encore à contenir ses émotions derrière une armure, dont on devine pourtant qu’elle n’est pas totalement opaque. Peut-il, par sa propre expérience – il était aussi proche de Shoya que Raffin l’était de Luis -, aider son compatriote? Va-t-il lui parler? «S’il le désire, je suis à sa disposition, même si je sais que chacun réagit d’une manière différente face à un tel drame.» Il n’en dira pas plus. Comme si, selon lui, le silence avait plus de valeur que les mots dans ces instants-là.

Se taire? Parler? Pleurer ouvertement ou retenir ses larmes jusqu’à en avoir mal? Jesko Raffin a logiquement renoncé à poursuivre son week-end, mais il était présent dimanche matin pour rendre un hommage vibrant à son pote. Marco Rodrigo, le manager de Luis et de Jesko, l’ancien mentor de Randy Krummenacher, a décidé de faire face. Donc de continuer: «Parce que Jesko mérite de poursuivre sa carrière.» Se taire? Parler? Et si, le meilleur baume, ce n’était pas, tout simplement, rouler?

Stay tuned!

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