Les Suissitudes de JCS #6 : «Pif», ton œuvre existe!



Il s’est passé quelque chose d’important, dimanche dernier sur le circuit de Catalunya-Barcelone: la victoire, dans la première des deux courses comptant pour le championnat d’Europe Moto2, de Ricard Cardus (deuxième de la seconde manche). L’ancien pilote Tech3 a fait triompher la Transfiormers, cet hommage technologique de Christian Boudinot à un homme pour lequel il a longtemps couru et qui s’en est allé trop tôt.

C’était Claude Fior, «Pif» comme on l’appelait tous, un génie capable de transformer la tondeuse à gazon familiale en engin de course (très simple, il l’avait équipée d’un moteur TZ 250!), inventeur et constructeur de châssis et d’un système de suspension original, que Boudinot a repris avec passion dans son projet.

Vous me direz: mais que vient faire l’Helvète et sa Suissitude de la semaine sur un sujet comme celui-là? Nogaro, l’antre de Claude Fior, c’est le Gers, pas un canton montagnard. Et, jusqu’à preuve du contraire, le floc de Gascogne, ce n’est pas un produit suisse!

Tout cela est vrai, comme il est vrai que la vie et l’œuvre motocycliste de Claude Fior ont été très étroitement liées à un pilote helvétique, le regretté Marco Gentile, champion d’Europe 500 cc (Fior-Honda 3 cylindres). Avec l’aide des budgets d’un grand cigarettier mondial dont le siège international est à Lausanne, les deux hommes avaient ensuite vécu le projet de la Fior 4 cylindres en GP 500.

Les rapports entre Claude Fior et Marco Gentile n’avaient rien à voir avec ce que l’on imagine généralement d’un patron (l’ingénieur-constructeur) et de son employé (le pilote). «Pif» avait quatre ans de plus que Marco et les deux hommes s’entendaient comme des frères, complices et fidèles dans les bons et les moins bons moments. Jusqu’au plus tragique d’entre tous.

Je me rappelle très bien du GP des Etats-Unis 1989, à Laguna Seca. Marco avait été éliminé sur chute dans le dernier tour, alors qu’il occupait une très belle onzième place – il avait finalement été classé douzième, à deux tours. Revenu sous la tente qui servait de stand, il avait tout pris sur lui, se traitant de tous les noms. Quelques minutes plus tard, il m’avait appelé: «Tu dois savoir la vérité: si je suis tombé, c’est parce qu’une pièce du châssis s’est brisée. Mais je ne veux pas le dire à Claude, pour ne pas le peiner. Il travaille tant.»

Quelques mois plus tard, à l’avant-veille du GP de Suède, Claude Fior et Marco Gentile avaient été blessés dans un accident de la circulation. Et le 19 novembre, le téléphone pleurait: «C’est Pif… Marco… Accident… Karting… Hôpital… Fini…» A Nogaro, Marco Gentile avait terminé la première journée de tests avec une Fior 250 propulsée par un moteur Aprilia d’usine. C’était le prochain défi des deux potes. Le travail avait été bon. En descendant de la moto, Marco avait détaché son casque. Puis, en voyant le karting très spécial construit par Claude, il n’avait pas hésité: quelques tours pour s’amuser. Là-bas, il était parti en tête-à-queue, avait été éjecté; sous l’effet de la force centrifuge, son casque s’était envolé. Marco avait tapé un rail. Il venait d’avoir 30 ans.

La dernière fois que j’ai croisé Claude Fior, c’était à l’aéroport de Singapour. Je revenais du Japon, direction la Malaisie; lui venait de quitter Shah Alam où ses monoplaces de Formule Campus étaient engagées. On s’est embrassé, comme toujours. Il m’a engueulé, parce que je ne venais pas assez souvent dans le Gers. Je lui ai juré de corriger le tir.

Le 13 décembre 2001, dans le brouillard, l’avion que «Pif» avait construit et qu’il pilotait s’est écrasé contre une colline. Il s’approchait de Nogaro. Le génie venait de retrouver son complice. De Là-Haut, l’autre dimanche, ils auront apprécié les courses de Ricky Cardus. Plus encore le travail de Christian Boudinot. Merci pour eux.

Stay tuned !

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