La présence de Jean-Michel Bayle, la légende française de la moto, aux côtés de Johann Zarco, a été officialisée cet hiver. Les deux champions s’apprécient et unissent désormais leur talent et leur expérience pour tendre vers l’excellence. À l’approche du premier Grand Prix de la saison, au Qatar, JMB a raconté à GP-Inside les raisons de leur collaboration, et le travail accompli avec Johann pendant l’intersaison.
GP Inside : Quel est ton rôle aux côtés de Johann ?
Jean-Michel Bayle : « Il faut d’abord rappeler qu’on s’est rencontrés quand Johann était en Moto GP chez Tech3, et qu’on avait échangé sur des conseils qu’il souhaitait sur sa carrière. On avait déjeuné ensemble et le courant était très vite passé. On a rapidement constaté qu’on avait une philosophie commune dans l’approche de la compétition de haut niveau. Un peu plus tard, en 2019, il m’a à nouveau sollicité au moment où il avait des soucis sur la KTM, et notre relation s’est alors renforcée. Il a pris seul la décision de rompre avec KTM en milieu de saison, mais c’est lui qui est sur la moto et qui risque sa vie à chaque course. Personne ne pouvait lui conseiller de se jeter dans le vide comme il l’a fait, mais il a pris ce risque courageux, et on constate aujourd’hui qu’il a bien fait. »
« J’ai toujours respecté ses choix, d’autant plus facilement que dans ma carrière, j’ai souvent pris des décisions qui ont surpris : quand je suis parti aux États-Unis alors que j’avais une voie royale en Europe après deux titres de champion du monde, ou quand je suis passé à la vitesse alors que je gagnais en SX et MX américain. Tout le monde me disait que j’étais fou mais je savais parfaitement ce que je faisais et ce que je voulais. C’est toujours le pilote qui doit prendre la décision finale, pas son entourage. »
« Johann et moi sommes donc toujours restés en contact. Cette année il a voulu mettre en place une nouvelle organisation autour de lui, avec toujours Romain Guillot, son fidèle préparateur physique qui s’occupe aussi de l’intendance, Alexandre, un nouveau kiné, pour le suivre sur tous les Grands Prix, et moi pour organiser son emploi du temps et son entrainement, même si on a prévu que je vienne sur quelques courses. L’objectif est toujours d’optimiser son niveau de performance, qu’il soit dans les meilleures conditions possibles pour se concentrer uniquement sur ses objectifs, sans se polluer avec d’autres soucis annexes. Nous travaillons donc dans une relation de confiance indispensable. La compétition de haut niveau, c’est la recherche de la perfection dans tous les domaines, y compris en dehors de la piste, et chaque détail a son importance. »
Concrètement, que lui apportes-tu ?
JMB : « Je pense que l’élément principal de la réussite, c’est le travail. À ce niveau, en Moto GP, tous les pilotes sont extrêmement talentueux et disposent d’une grande expérience. Mais sans le travail, le talent ne suffit pas. J’ai moi-même fait ce constat en arrivant aux États-Unis, où Roger De Coster m’a mis face à cette réalité, et je me suis mis à beaucoup travailler, avec les résultats qu’on sait. En vitesse, Johann a évidemment bien plus de talent que moi puisqu’il en fait depuis son plus jeune âge, c’est donc plutôt mon expérience qui peut l’aider. »
« On bosse beaucoup avec des mini-motos sur des pistes de kart en faisant des exercices spécifiques très intenses, en insistant sur les points faibles pour progresser. En général, les pilotes répètent souvent ce qu’ils savent faire mais en fait, la marge de progression est surtout sur ce qu’ils font le moins bien ! Pour ne pas révéler de secrets, je ne peux pas te dire ce que nous avons travaillé précisément, mais en gros, on a cherché à optimiser la vitesse de passage en courbe. »
« L’autre apport concerne la dimension mentale, et pour être fort psychologiquement, il faut avoir confiance en soi, donc il faut bosser ! Si tu sais que tu as bien travaillé et que tu as amélioré tes points faibles, tu arrives plus confiant à la course. Le mental est conditionné par l’entrainement et par la charge de travail que tu t’imposes, tout est lié. Je te donne un exemple concret : on a fait un exercice précis sur un tour de 6 secondes qu’il reproduit pendant 4 minutes, c’est à dire 40 tours ! Je peux t’assurer que c’est hyper intense, il n’y a pas une seconde pour se relâcher. Et au-delà de la technique et de la performance, c’est très gratifiant de réussir ce type d’exercice, donc tu augmentes ta confiance et tu gagnes en sérénité. En fait, la partie que voient les gens sur les Grand Prix représente un très faible pourcentage de la vie d’un pilote comparé au temps qu’il passe à s’entraîner. »
Dans quelles dispositions est Johann pour aborder cette nouvelle saison ?
JMB : « Sincèrement, je le sens dans de bonnes dispositions. On a travaillé sérieusement, avec autant de rigueur que de bonne humeur. Toutefois, c’est un début de saison assez spécial car la plupart des pilotes sont en fin de contrat, donc les premières courses vont être capitales pour les négociations, c’est une pression supplémentaire pour tous. Je ne doute à aucun moment de la capacité de Johann à être performant, ensuite il faudra gérer au mieux les éventuels aléas qui se présenteront, mais il est bien armé pour affronter cette saison. Je suis très confiant. »
« On a tout fait pour qu’il soit dans de bonnes conditions, mais ensuite il est seul sur sa moto et c’est lui qui décide. C’est d’ailleurs le charme de cette discipline, c’est vraiment le pilote qui fait la différence. Les motos sont tellement proches – même si elles ont chacune leurs caractéristiques – que la différence se fait principalement grâce au pilote. C’est facile de dire ce qu’il faut faire quand tu es dans ton canapé, mais quand il faut rentrer dans un virage à plus de 200 km/h ou repousser un freinage en arrivant à plus de 300 km/h, c’est au pilote de le faire et de se transcender. Et ça, seuls les meilleurs y parviennent ! »
Un pronostic pour le Qatar et pour le championnat ?
JMB : « C’est impossible ! Malgré toute mon expertise, je ne peux vraiment pas donner une hiérarchie crédible. Quand tu vois le niveau de performance de tous les pilotes qui se battent à coups de dixièmes, c’est impossible de prévoir qui va gagner. Et c’est d’ailleurs cette indécision qui fait la beauté de ce sport ! Avant on trouvait toujours les trois ou quatre premiers ; maintenant, celui qui fait podium sur une course peut terminer dixième de la suivante ! Ce qui est certain, c’est que chaque détail va compter. Et ensuite, c’est la course qui va désigner son vainqueur. »
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Photo de une : Jean-Michel Bayle et Johann Zarco lors d’un entraînement d’enduro (Page Facebook Jean-Michel Bayle JMB 111)